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BLABLABLAMIA
5 février 2019

À NOUS REGARDER, ILS S'HABITUERONT - Elsa FLAGEUL

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"Ils sonnent à l’interphone, s’annoncent, entrent, ouvrent leur casier fermé à clef, y déposent leurs sacs, leurs manteaux, se lavent soigneusement les mains au savon, pendant plusieurs secondes, chacun leur tour, sans parler, sèchent leurs mains avec du papier puis les passent sous une pompe géante de solution hydro-alcoolique, se les frictionnent longtemps, sèchent leurs mains avec du papier, enfilent chacun une blouse jaune transparente, Vincent attache celle d’Alice dans le dos, Alice attache celle de Vincent.
Ils ouvrent la porte qui sépare César du reste du monde. Chaque matin, après avoir accompli tout cela, Alice met la main sur la poignée de la porte, chaque matin elle prend une grande inspiration, ferme les yeux et dit tout bas : j’espère que la nuit s’est bien passée. Chaque matin.
En réalité chaque matin elle se demande : mon bébé est-il mort?"

Quand une grossesse ne se termine pas comme  prévu, bien avant la date annoncée, quel genre de tsunami s'abat sur vous? 
Ce sont essentiellement ces jours de flottement après le choc d'une naissance avant-terme, qu'Elsa Flageul nous raconte dans ce court roman où nous nous retrouvons plongés dans le monde de la prématurité et de la parentalité fragile, dans un milieu hospitalier bruyant et angoissant totalement inconnu jusque là, où l'on vous rassure autant que l'on vous infantilise. 

Comment est-ce qu'Alice, maman bien avant l'heure, traverse ces moments de doute, entre sentiment d'échec, de culpabilité et d'injustice, faisant preuve d'un courage qu'elle ne se soupçonnait pas, se raccrochant parfois à une précieuse pensée magique et à un certain humour? 
Où est-ce que le couple, fragilisé, démuni mais combatif, qu'elle forme avec Vincent trouve la force nécessaire pour affronter l'incertitude, la peur de la mort à peine la vie donnée? Quels parents et quel couple devient-on après cette perte brutale de l'insouciance? 

Elsa Flageul aborde d'un ton à la fois ténu, fuselé et direct la lutte quotidienne, et l'équilibre précaire que l'on tente de préserver malgré la peur, la fatigue, l'impuissance, et une immense solitude. Le courage qu'il faut pour tenir bon et se tenir bien face au vertige d'une maternité à part, même après l'embellie. 
Un livre fort sur le deuil d'une naissance "idéale", l'amour inconditionnel d'un père et d'une mère, les bouleversements irrémédiables qu'une telle naissance provoque, les regards qu'elle altère, mais aussi les liens qu'elle renforce, malgré tout.

"Tout le monde est là, tout le monde attend, tout le monde retient son souffle: César est porté par la foule et nous avec. Pourtant cet amour, cette attente que je reçois, que j'entends, ils n'arrivent pas jusqu'à moi: je ne rappelle pas, je ne réponds pas aux messages. Je n'y arrive pas. Non que le temps me manque, je n'ai que ça justement, du temps à n'en plus finir pendant lequel je contemple la poitrine de mon fils se soulever puis s'abaisser, se soulever puis s'abaisser, toujours pareil et c'est ça justement que je scrute, que je vérifie à chaque instant: la moindre irrégularité me panique, la moindre arythmie me fait bondir de mon fauteuil. Si je détourne le regard, il me semble que l'impensable peut se produire, que le mouvement ne tient qu'à mes yeux, qu'à ma volonté presque. Je pourrais utiliser ce temps de surveillance pour dire merci à ceux qui pensent à moi, à nous mais je n'y arrive pas.
En vérité, je voudrais qu'on nous foute la paix. 
C'est impossible de penser ça, impossible de le ressentir mais c'est pourtant le cas. Je ne supporte plus les anecdotes qui se veulent rassurantes: untel est né prématuré, il a aujourd'hui dix-huits ans et entre à Sciences Po, unetelle ne pesait qu'un kilo à la naissance et c'est aujourd'hui une grande fillette de dix ans qui fait du handball. Je m'en fous. Ce n'est pas notre histoire. Ce n'est pas César. Ce n'est pas maintenant. Ce n'est pas moi. La vie n'est qu'une histoire de cas particuliers. Rien ne fait sens. Rien n'est juste. Rien ne se ressemble. Une vie, ça ne se mesure pas. Une vie, ça ne se compare pas
. "

L'auteure >> Avant de se lancer dans l’aventure romanesque, Elsa Flageul a d’abord étudié le cinéma et travaillé sur l’œuvre de Jacques Demy. Le cinéma garde une influence majeure sur son travail d’écrivain, caractérisé par un sens aigu de la musicalité et une écriture d’une grande délicatesse. Aux éditions Julliard, elle a déjà publié Madame Tabard n’est pas une femme (2011), J’étais la fille de François Mitterrand (2012) et Les Araignées du soir (2013). Les Mijaurées (2016). À nous regarder, ils s’habitueront est son cinquième roman.

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Commentaires
K
Je pense que je le lirai, ne serait-ce que pour comprendre ce que vivent plusieurs parents avec lesquels je travaille.
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