VICTOR HUGO VIENT DE MOURIR - Judith PERRIGNON
« La nouvelle court les rues, les pas de porte et les métiers, on entend l'autre dire qu'il est mort le poète. Vient alors cette étrange collision des mots et de la vie, qui produit du silence puis des gestes ralentis au travail. L'homme qui leur a tendu un miroir n'est plus là. Tout s'amplifie, tout s'accélère. On dirait qu'en mourant, qu'en glissant vers l'abîme, il creuse un grand trou et y aspire son temps, sa ville... »
La mort de Victor Hugo puis les funérailles d'État qui s'annoncent déclenchent une véritable bataille. Paris est pris de fièvre.
Les dernières heures de Victor Hugo, l'attente de sa mort, la peine et la tension qui montent entre ses murs et ailleurs, dans la rue, dans les rues, les usines, les commissariats, les églises... L'émotion de sa famille, de ses proches, du peuple à l'annonce de sa mort aux incontestables (et attendues/appréhendées) répercussions politiques et religieuses.
C'est tout un peuple qui en ce 22 mai 1885 se retrouve en deuil. Un peuple auquel l'on tente de retirer (en planifiant les obsèques un lundi) la possibilité de rendre hommage à l'emblématique homme de lettres et d'action qui l'a si brillamment décrit et tant défendu.
Car de nombreux protagonistes cherchent à s'approprier la figure de cet auteur/personnage politique engagé, à instrumentaliser/avoir la mainmise sur ses funérailles aux enjeux multiples. Mais, malgré ces tentatives de récupération et d'endiguement, c'est toute une foule oscillant entre révolte et recueillement qui l'accompagnera jusqu'au Panthéon, le 1er juin, après que sa dépouille ait été exposée sous l'Arc de triomphe.
Au-delà du récit des derniers jours de Victor Hugo et ceux qui ont suivi, c'est tout un contexte historique dont parle Judith Perrignon, qui démontre encore une fois son immense talent de narratrice.
Dans une superbe langue, précise, érudite, musicale et poétique qui nous emporte, elle allie le spectaculaire à l'intime, et mêle le destin d'un homme d'exception à celle d'un pays en pleine mutation après la Commune de 1871.
Et, par le biais de cet hommage à Victor Hugo (et à son père qui le lui fit aimer), Judith Perrignon rappelle à nos mémoires les révoltes, les mots, les sacrifices du passé, et leurs fruits à défendre.
"Alors remonter le fleuve de l'Histoire, le courant des funérailles, suivre le chemin, chercher où il s'est égaré. Observer sur les photos d'époque ce gros machin noir sous l'Arc de triomphe, qui écrasait le mort et celui qui venait le saluer, pour rappeler à l'homme qu'il dois s'agenouiller.
Revenir aux détails, aux minutes où les gendarmes déchirèrent les vers du poète brodés sur le noir anarchiste. Les imaginer qui tendent le tissu, et d'un coup sec, de la main, de l'épée, le déchirent encore et encore, le réduisent en lambeaux, au néant. Le poète qu'on enterre a déjà sous-titré la scène: Si on rudoie l'utopie, on la tue."
Victor Hugo vient de mourir figure dans la liste du prix Femina et du Grand prix du roman de l'Académie française.
L'auteur >> Née en 1967, Judith Perrignon est auteur et ancienne journaliste à Libération. Elle a notamment publié C’était mon frère (L’Iconoclaste, 2006), sur Vincent et Théo Van Gogh, qui a connu un succès public et critique (12 000 exemplaires vendus).
Elle est l’auteur de l’ouvrage Lettre à une mère avec le Pr Frydman, Mauvais génie avec Marianne Denicourt (Stock, 2005), L’Intranquille avec Gérard Garouste (L’Iconoclaste, 2009), Les Chagrins (Stock, 2010), Les Faibles et les Forts (Stock, 2013), Et tu n’es pas revenu avec Marceline Loridan-Ivens (Grasset, 2015).
Les éditions de l'Iconoclaste : http://www.editions-iconoclaste.fr/