LÀ OÙ LA TERRE EST ROUGE - Thomas DIETRICH
Alors qu'il vient d'abandonner ses études, Icare se voit propulsé, par une étrange rencontre, conseiller politique d'un État africain. Initié à l'art des élections truquées, des coups d'État réussis et des rébellions à mater, il découvre en même temps l'amour et l'ivresse du pouvoir, qui tous deux peuvent porter aux nues comme en enfer.
J'ai entendu parler pour la première fois de ce premier roman au cours d'une émission d'Au Field de la Nuit, c'était un des premiers passages télé de Thomas Dietrich, et j'avais trouvé qu'il se débrouillait très bien et donnait franchement envie de découvrir ce roman... il ne m'en fallait pas plus!
Et le fait est qu'il livre 270 pages érudites sans temps mort, mêlant gravité, analyse, une part de dérision et une grande clairvoyance, basées en partie sur du vécu/vu/entendu.
Mais il prend du recul sur la réalité en donnant des noms mythologiques et symboliques à ses personnages pour les ancrer dans leurs rôles bien définis dans cette tragédie faite de trahisons, de destin, et de chute.
Icare, jeune homme blanc associal, glandeur et menteur, aux parents totalement démunis, se retrouve sans réelles bases, et à force de balades et rencontres fortuites dans Paris, se découvre une famille d'adoption au sein de la diaspora africaine, entre Château rouge, Clignancourt et Château d'eau.
Thomas Dietrich retranscrit, je crois, avec réalisme la vie de ce microcosme parisien fait d'énergie, de couleurs, de parfums, et de solidarité dans lequel Icare s'intègre facilement. Et il finit par partir en Afrique avec Anténor, nommé ministre en République de Tshipopo, celui-ci lui ayant proposé amicalement de le suivre, croyant aussi qu'il pourrait lui être utile, vu qu'Icare prétend faire des études à Science-Po.
Sans le détromper, Icare saute sur l'occasion, sans aucune velléité humanitaire, mais ne songeant qu'à son propre intérêt/confort, et son envie de devenir enfin "quelqu'un d'important" (ce qui lui semble totalement inaccessible en France), ceci quite à perdre son âme, la fin justifiant parfois les moyens...
Il découvrira alors un continent, tombera amoureux d'une ville (Pendéré = "belle" en langue Sango), et d'une fille d'ambassadeur inaccessible qui voudrait l'aider à sauver son âme, sentiments rendus dans des passages introspectifs emplis d'une jolie poésie.
Mais, dans sa lente prise de conscience, il connaîtra aussi de grandes désillusions, observant de près les manigances des pouvoirs en place ou celles de leurs opposants qui se valent dans les bassesses/violences dont ils sont capables...
Car dans les deux camps, Thomas Dietrich nous parle d'hommes ayant des moments de lucidité et de faiblesse, mais que l'avidité de pouvoir rend "fous"... (il fait assez clairement allusion à un Président qu'il a connu, et aux affrontements fréquents qui ont lieu en République de Centrafrique - actuellement en plein conflit avec le Tchad).
Là où la terre est rouge (= pour la latérité mais aussi pour le sang versé) est un premier roman parfaitement bien mené qui m'a un peu rappelé le film le Dernier roi d'Ecosse, de Kevin McDonald (2006), même si le personnage d'Icare, sans une once de charité est à l'opposé du médecin blanc du film, mais ils deviennent tous deux à leur manière des expatriés "paumés", devenus complices des exactions des leaders qu'ils cotoient.
Un livre réaliste, sans caricature et plutôt oppressant, qui, sous la forme d'une confession/rédemption, interpelle.
"De gamin un peu rêveur à qui l'on pouvait pardonner les excès, il est devenu un homme indigne de son humanité.
La liste de ses fautes est trop longue pour qu'il puisse toutes se les remémorer, mais il parvient quand même à se les rappeler pour être saisi d'effroi."
L'auteur >> Thomas Dietrich, étudiant à Sciences Po, a 23 ans, et a passé toute son enfance au Togo. Après avoir passé le bac à Mulhouse, il est reparti vers l'Afrique - Tchad, Centrafrique, Soudan - dont il parle langues et dialectes et où il a travaillé.
Là où la terre est rouge est sélectionné pour le prix des lecteurs Emmanuel Roblès (de la ville de Blois) 2014, et a été élu Prix du roman du mois des Espaces culturels E.Leclerc et Télé 7 Jours.
(Découvrir les premières pages: http://books.google.fr/books?id=yr1gAgAAQBAJ&printsec=frontcover&dq=thomas+dietrich&hl=fr&sa=X&ei=CBQ5U-f1LIOz0QWuhIC4Dw&ved=0CDUQ6AEwAA#v=onepage&q=thomas%20dietrich&f=false )
Pour finir, la photo de bandeau m'a fait découvrir Tendance floue, le site/galerie du photographe Olivier Culmann (et sa série nommée Watching TV): http://tendancefloue.net/olivierculmann/