Communiste et charmeur, cégétiste et volage: tel était Lulu, mon père. Menteur aussi, un peu, beaucoup, passionnément, pour couvrir ses frasques, mais aussi pour rendre la vie plus belle et inattendue.
Lulu avait toujours une grève à organiser ou des affiches à placarder. La nuit venue, il nous embrigadait, ma mère, mon frère et moi, et nous l’aurions suivi au bout du monde en trimballant nos seaux de colle et nos pinceaux. Il nous faisait partager ses rêves, nous étions unis, nous étions heureux. Evidemment, un jour, les lendemains qui chantent se sont réduits à l’achat d’une nouvelle voiture, et Che Guevara a fini imprimé sur un tee-shirt. Le clan allait-il survivre à l’érosion de son idéal et aux aventures amoureuses que Lulu avait de plus en plus de mal à cacher? Collègues, voisines, amies; brunes, blondes, rousses: ses goûts étaient éclectiques. Lulu était très ouvert d’esprit.
Sans nous en rendre compte, nous avions dansé sur un volcan. L’éruption était inévitable.
Marc Lavoine avait déjà publié aux éditions Fayard un livre collectif réalisé avec de jeunes autistes Toi et moi, on s'appelle par nos prénoms (que je vous conseille de lire si ce n'était déjà fait (en plus il est disponible en format poche maintenant)).
Puis il avait publié, avec Cyrille Putman, un livre de photographies retravaillées: Premier rendez-vous (que je vous conseille aussi de découvrir aux éditions de La Martinière).
Il aurait pu revenir avec une autobiographie "classique", parlant de son parcours, de son succès, comme l'ont fait tant d'autres.
Mais, artiste tourné vers les autres, ce qui l'a fait revenir au livre n'était pas une envie de parler de lui, mais la nécessité qui s'est imposée de parler des autres/aux autres, sans fioritures, avec des bouts de lui dedans, mais en offrant les rôles principaux à ceux qui lui manquaient et ont tenu une place essentielle dans sa vie.
L'homme qui ment est une histoire familiale, d'enfance, d'amitié et d'amours, basée "sur une histoire fausse", soit sur des faits réels pas nécessairement vrais... Car ici Marc Lavoine parle de sa vérité, qu'il enjolive parfois, invente/complète et interprète, dans une mise en scène sincère. C'est le regard d'un enfant posé sur sa surprenante arrivée sur Terre, d'un fils sur un père volage, vivant, ardent, avec lequel il partage une belle complicité, sur une mère délicate qu'il cherche à protéger, un grand frère (avec lequel il aimerait parfois inverser les rôles), des amis fidèles, des oncles/tantes/grands-mères essentiels, des femmes aigre-douces, un prof de français stimulant et fondateur... la vie de bohème aux 21 et 23 rue des Acacias à Wissous, une banlieue, un langage, Mitterrand... toute une époque.
L'homme qui ment, c'est aussi un film d'Alain Robbe-Grillet, alors j'ai imaginé Lucien Lavoine en Trintignant, beau, classe...
J'ai vu défiler un film en noir et blanc, avec dans le rôle principal un homme traumatisé par la guerre, qui ayant échappé au pire vit++, en séduisant, en mangeant, en buvant, en riant... et en s'engageant en politique, embarquant ses enfants dans les collages d'affiches, puis perdant ses illusions petit à petit.
Un homme que l'on ne juge pas, car le regard de Marc Lavoine posé sur lui n'est jamais à charge, même s'il sait que les infidélités dont il est témoin ne sont pas "catholiques", et que les doutes/la souffrance de sa mère l'inquiètent et le blessent, il les regarde tous les deux avec indulgence, tendresse, et humilité, certain qu'ils ont fait ce qu'ils ont pu, décidant seulement d'aimer, d'admirer, de protéger, leurs choix ne lui appartenant pas.
Cela donne un texte simple mais travaillé qui m'a touchée et montre encore une fois combien Marc Lavoine est un amoureux des gens, de la vie, des mots et des sons. Dans une volonté d'offrir une sorte de postérité émouvante et joyeuse à ses parents et aux personnages qui gravitent autour d'eux, et un désir de transmission d'un père à ses enfants, c'est son ADN et toute une philosophie de vie, sensible, sans prétention, pleine d'humour, de douceur et de musicalité que Marc Lavoine expose et partage par le biais de ce livre, celle qu'il a apprise au fil de sa vie, et auprès de ces parents sans pareils. Cela donne ce bien joli hommage, dans lequel il partage avec nous les "quelques fleurs, avec son coeur à l'intérieur" (...) qu'il leur adresse...
"Il me vint à l'esprit une confession, façon Marx en soutane: pardonnez-moi, je n'ai pas su changer le cours des choses de ma vie, je n'ai pas toujours eu le courage de mon enfance, je n'ai pas menti, mais j'ai dû me taire ou faire semblant. J'ai essayé.
Je suis sorti de l'église, j'étais toujours le même, mais différent, comme tout le monde, avec le goût de vivre. L'amour est une tentative aussi fringante qu'autrefois. Je comprenais que, malgré les chagrins, les erreurs, les échecs et la défaite, j'avais, grâce à mes parents, le goût du bonheur, du combat et des victoires. En regardant le ciel, j'ai senti le vent me caresser la joue.
J'ai vu dans les nuages, dans les oiseaux, dans les papillons, dans les abeilles, dans les fleurs, dans l'air, flotter les visages de ceux qui n'étaient plus et qui vivaient encore en moi. J'étais bien."
Les éditiond Fayard: http://www.fayard.fr
Le billet de Laurie Lit ici, celui de Stephie là, avec lesquelles j'ai eu l'immense chance de rencontrer Marc Lavoine, vendredi 13 février.