TONY HOGAN M'A PAYÉ UN ICE-CREAM SODA AVANT DE ME PIQUER MAMAN - Kerry HUDSON
Kerry Hudson a eu une enfance plutôt chaotique, qui lui a en partie inspiré ce roman.
Et je crois que cela se sent dans ces pages, ce vécu, ce ressenti, cette violence des mots, des gestes et des situations.
L'innoncence chahutée, l'apprentissage des sentiments, parfois jolis, parfois laids.
Mais le sourire, l'amour, au milieu du sombre.
Comme la couverture (que je trouve plus réussie que celle de la version UK ci dessous), éditée chez Philippe Rey dont j'adore définitivement le travail:
cette image de requin aux dents menaçantes contrebalancée par l'image joyeuse d'une fête foraine...
Bien, l'histoire >> Accueillie dans ce monde par une flopée d'injures, la petite Janie Ryan est vite projetée au milieu de cris, de fumées de cigarettes, de vapeurs d"alcool, mais aussi de beaucoup d'amour.
Dans une langue saisissante et originale, elle remonte à ses premiers jours pour nous raconter sa jeunesse écossaise, de centres d"accueil en HLM minables et autres bed and breakfasts douteux… Alcool, drogue, fins de mois difficiles et beaux-pères de passage : rien ne lui est épargné. Mais, toujours prête à en découdre, Janie se débat, portée par un humour féroce et la rage de se construire une vie correspondant à ses attentes.
Kerry Hudson m'a conquise dès la première page. Jusqu'à la dernière!
Même si ce roman a une certaine tristesse et colère, même si l'on traverse avec Janie et sa mère de nombreux conflits et des situations plus que difficiles, une misère douloureuse à vivre et à porter, on ne ressort pas de cette lecture accablé(e).
Janie est super attachante, l'utilisation du "je" et ces pages qui peuvent apparaître comme un journal intime, nous la rendent très proche.
On sourit avec elle, on compatit, on espère, et ses souffrances nous touchent réellement.
Ainsi que celles de sa mère (dans une moindre mesure), mère célibataire dépressive, avec bientôt un autre bébé, atteinte par les déceptions et les coups du sorts/mauvais choix, qui l'enfoncent dans l'alcolisme et la mélancolie, mais qui trouve toujours la force de rebondir...
Elles vivent une vie de lutte permanente, pour leur survie, pour gagner une dignité, exister.
Mais sans jamais oublier de se protéger l'une l'autre, de rester soudées malgré l'incompréhension, les disputes et les non-dits.
Mais attention, ce n'est pas les Misérables non plus, car au coeur du dénuement, elles chérissent chaque petit bonheur simple, tel qu'être ensemble, avoir un toit, ou la préciosité d'une sauce pour accomoder un plat... et de petits trésors tels qu'un parapluie, des posters des New Kids on the Block, une poupée/tirelire, le bonheur d'une glace ou le luxe d'emprunter des livres à la bibliothèque.
C'est grâce à cela que Kerry Hudson m'a embarquée, et que ce roman marque, par cette tendresse jamais plaintive, par ces "souvenirs" racontés sans que l'amertume ne l'emporte jamais.
Par cette fraîcheur qui tient la dragée haute à la moisissure qui couvre les murs, à la faim, à la honte, aux chaussures trouées et à la violence sociale et physique qui les entoure.
Un livre dans la veine des films de Ken Loach ou d'Irvine Welsh.
J'attends avec attention le prochain roman de Kerry Hudson, prévu dans l'année en Angleterre, car c'est une auteure franchement pleine de promesses!
"Quand j'ouvrais les livres, et je pouvais en ouvrir autant que je voulais parce que ça ne coûtait rien, les images s'étalaient devant mes yeux comme de l'huile sur de l'eau, et les lettres dansantes s'installaient sur ma langue avec le goût et l'odeur de bonbon à la réglisse. Pendant que maman se mordait les lèvres, arrachait les petites peaux de ses ongles et lisait des vieux magazines, je découvrais à quel point les histoires me donnaient un sentiment de sécurité."
En dernière sélection de nombreux prix, Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman a été récompensé par le Scottish First Book Award.