LE RIRE DU GRAND BLESSÉ - Cécile COULON
De Cécile Coulon, j'avais lu Méfiez vous des enfants sages (sorti il y a peu en format poche chez POINTS) et Le roi n'a pas sommeil.
Une auteur(e) aussi jeune, ça avait attisé ma curiosité. Je ne l'avais pas regretté.
De Cécile Coulon, je connais le mur Facebook, et je lui dois des paquets de rires honteux, noirs, cyniques ou légers, bon parfois aussi, j'avoue, des flops auprès de ma fille (qui me font rire aussi)...!
De Cécile Coulon, je voulais du coup encore plus lire le dernier roman, Le Rire du grand blessé.
Ce roman (de Cécile Coulon (...) ...;-)) est un roman-fiction, et le plus fiction possible tant cela a été proche d'un cauchemar pour moi tellement non non non alors ça ne doit pas être un roman d'anticipation, surtout paaaaas!!
Ce roman, qui fait penser à 1984 d'Orwell, ou Farenheit 451 de Bradbury, cette image de ce que la société pourrait devenir, ce vers quoi l'on tend si tout périclite, si on ne lutte pas pour l'existence des livres, à leur accès, si on ne refuse pas la facilité du divertissement paresseux et abrutissant.
Une société où les analphabètes tout en muscles et violence sont considérés comme l'élite du pays, et ceux en recherche d'émotions par le biais des mots comme des faibles hystériques et totalement manipulés.
Où des liseurs publics, payés pour raconter uniquement les histoires-drogues validées par "le Grand", deviennent des superstars accueillies par des cris dignes des groupies de boys band.
Où les gens de la campagne sont maintenus dans un bain d'inculture, un vivier dont les jeunes hommes peuvent se sortir non pas en s'élevant intellectuellement (surtout pas/au contraire), mais par leur seul entretien physique.
Les valeurs ont été inversées, comme ça, pour des questions de pouvoir, et sans résistance.
Le livre, les mots, se voient utilisés, détournés, pour prendre possession des cerveaux. Concept curatif/substitutif inventé à la base par une femme souhaitant venir en aide aux toxicomanes: ou quand une bonne idée, bourrée de bonne intentions donne vie à un monstre qui dépasse son maître (et la culpabilité qui va avec).
Mais même sous haute surveillance, un "accident"/une prise de conscience est vite arrivé(e)... et peut entraîner la volonté d'un personnage de ne plus n'être qu'un numéro, de se réapproprier son existence, son nom, redevenir quelqu'un ("Il devait devenir quelqu'un d'autre, s'il voulait devenir quelqu'un tout court"...).
L'écriture est froide pour donner des frissons, l'histoire se passe on ne sait où, on ne sait en quelle période, pour que l'on n'ait aucun point d'ancrage, plongés dans cette ambiance angoissante.
Un roman où le nom "littérature" devient une promesse, une lutte secrète, un don, un pansement, et dans lequel finalement, le personnage principal est purement et essentiellement le livre.
(Si j'étais prof, je le ferais étudier à mes élèves...)
"La lecture produisait des effets spectaculaires: elle ne rendait les patients ni meilleurs ni pires, mais pour la première fois depuis qu'ils avaient arrêté de se piquer, de sniffer, de fumer tout ce qui leur passait sous la main, le corps, de nouveau actif, exultait. Les émotions montaient, ils se laissaient transporter."