TOUTE RESSEMBLANCE AVEC LE PÈRE - Franck COURTÈS
« Au même âge que mon fils, je m’étais hissé au sommet d’une meule un soir, au bord du plateau. Je dominais la vallée de l’Ourcq. La nuit approchait. Les nuages venaient de loin et j’avais un peu froid. Devant moi, la terre brune, les bois sombres, le vent dans mon dos, dessinaient les contours du bonheur, les points cardinaux d’une boussole imaginaire. J’étais un cristal de garçon.»
Comment se défait-on des fantômes du passé?
Ils sont trois personnages, une mère et ses deux enfants, Mathis et Vinciane, à tenter de survivre après la mort accidentelle de Jacques. Si Mireille, inconsolable, s’est figée dans son destin de veuve d’un héros magnifié, Vinciane, elle, traverse les océans pour oublier. Quant à Mathis, prisonnier de l’image paternelle, il enchaîne les conquêtes et s’abîme dans la séduction. Tous se débattent mais le fantôme de Jacques rôde, un fantôme qui épouserait les fantasmes et les culpabilités de chacun.
Toute ressemblance avec le père est le premier roman de Franck Courtès, après le très réussi recueil de nouvelles Autorisation de pratiquer la course à pied. Lorsque l'on sait qu'il s'est mis à courir après la mort de son père, on se dit qu'il y a sûrement beaucoup de morceaux de lui dans ce roman ultra touchant et délicat, parlant de la mort soudaine d'un père, et de son ombre qui planne, s'incruste...
Ce roman réunit les morceaux de mosaïque amenés par Mathis, Mireille et Vinciane, pour qu'à la fin, tous ces éclats donnent ce roman plein de grâce.
Un roman sur les liens, les manques, l'absence, les non-dits/secrets, et les différentes manières de se protéger, de rendre hommage à la mémoire d'un père, domestiquer les traces qu'il a laissées, les gestes qu'il a transmis, pour s'en détacher et enfin se reconstruire et (s'autoriser à) trouver sa place.
Alors l'ivresse, la séduction, la fuite, les mauvaises routes, les faux semblants, la violence, l'envie de vengeance, l'isolement, le temps, et l'obscurité sont parfois nécessaires à la mue, à l'apprivoisement/la (re)conquête de soi...
C'est un livre plein de fragilité et de poésie, de contemplation (où la nature est très présente), de failles, de brêches, d'humanité.
Et d'amour: pour son métier de photographe, pour un père disparu, une mère vieillissante, une femme, une soeur... et enfin, une très belle déclaration/promesse d'amour paternel.
Je suis mis à la photographie pour m'inventer un nouveau décor, une histoire à moi, pour remplir le vide.
Circonscrire le monde, l'apprivoiser, l'épingler au mur. Par goût de la promenade aussi. Mes portraits comme autant de têtes réduites, avec l'âme à l'intérieur si possible, des prises de guerre, des trophées étonnamment nombreux pour un jeune homme solitaire. Des images indélébiles, uniques et définitives, gais négatifs, fragiles comme des ailes de papillon, invitant à la collection précieuse.
J'en ai fait mon métier, de cette chimie qui inversait tout. La vision à l'envers, le négatif de la réalité, le sens caché des choses (...)
Ma soeur trouvait ça facile, la photo, un art d'anaphabètes dans mon genre. Ça ne valait pas la peinture.
Pourtant, pour faire un bon portrait, il me fallait chercher en moi de l'amour. C'était un beau métier de découvrir en chacun de nous ce qu'il y avait de touchant. Un travail d'amoureux."
L'auteur >> Franck Courtès est photographe indépendant. Il partage son temps entre Paris et la campagne. Il est l’auteur d’Autorisation de pratiquer la course à pied, paru chez Lattès en 2013 (et a obtenu le prix SGDL de nouvelles).
Les éditions JC Lattès : http://www.editions-jclattes.fr/ (que je félicite, ainsi que Franck Courtès, pour la très très belle photo de bandeau).