PROFESSION DU PÈRE - Sorj CHALANDON
« Mon père a été chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion, pasteur d’une Eglise pentecôtiste américaine et conseiller personnel du général de Gaulle jusqu’en 1958. Un jour, il m’a dit que le Général l’avait trahi. Son meilleur ami était devenu son pire ennemi. Alors mon père m’a annoncé qu’il allait tuer de Gaulle. Et il m’a demandé de l’aider.
Je n’avais pas le choix.
C’était un ordre.
J’étais fier.
Mais j’avais peur aussi…
À 13 ans, c’est drôlement lourd un pistolet. »
Alors qu'il se trouve à l'enterrement de son père, Emile/Sorj se souvient.
De n'avoir jamais su qu'écrire au moment de la rentrée sur la profession de son père, qui, régulièrement, s'en inventait une nouvelle et se mettait en scène dans des récits où il apparaissait toujours comme un héro...
D'avoir grandi en quasi huis clos, au sein d'une famille déséquilibrée et douloureuse, avec une écrasante figure paternelle à la terrible violence physique et verbale. Un père impétueux à l'esprit plein de colère, de frustration et de folie, impossible à cerner (mais qu'il n'a jamais cessé d'aimer)... et une mère effacée, en retrait, apeurée, pas toujours protectrice.
De son enfance dure et décalée, qui lui coupait parfois le souffle, lui donnait l'imagination fertile, l'entrainait dans des aventures abracadabrantes en plein coeur des années 60.
De sa vie d'adulte passée à rester à distance...
On ressent, à la lecture de ce récit sous forme de roman, une certaine tristesse, une sorte d'incompréhension et une empathie certaine envers Emile/Sorj.
Et même si ça ne restera pas mon texte "préféré" de Sorj Chalandon (il faut dire que j'ai tellement été chamboulée par Le quatrième mur....), c'est sûrement un de ses textes les plus intimes et tendres, qui trouble et touche avec sous écriture sensible/sans pathos, son questionnement sur la transmission et ses terribles souvenirs/confessions.
Un texte vibrant dans lequel il se livre avec élégance, sans aucune volonté de nuire, pour simplement se libérer et ouvrir "une fenêtre invisible" pour "laisser entrer le vent, l'hiver, le froid, le soulagement, surtout".
"Longtemps, j'ai pensé à cette phrase. Prêts à vivre. et ce jour-là, devenu adulte et revenu près de mon père, j'ai su qu'il ne m'avait pas vaincu. Je n'avais été abîmé ni par la haine, ni par la rancœur. J'avais rangé mon pistolet et ma lame de rasoir. J'étais prêt à vivre."
L'auteur >> Après trente-quatre ans à Libération, Sorj Chalandon est aujourd’hui journaliste au Canard enchaîné. Ancien grand reporter, prix Albert-Londres (1988), il est aussi l’auteur de six romans, tous parus chez Grasset. Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006 – prix Médicis), Mon traître(2008), La Légende de nos pères (2009), Retour à Killybegs (2011 – Grand Prix du roman de l’Académie française), Le Quatrième Mur (2013 – prix Goncourt des lycéens).
Les éditions Grasset: http://www.grasset.fr/