LES MILLE VEUVES - Damien MURITH

Assises devant les maisons, les femmes raccommodent les mailles déchirées des filets. Leurs doigts sont gercés ; par habitude ils ne saignent plus. Elles parlent des hommes, de la mer, elles parlent des mains affolées qui s'agitent au bout des quais, des lèvres qu'il faut pincer car au fond de la bouche cogne la nausée des grandes peurs, des tumultes du cœur quand l'attente a le souffle de la cire et de l'encens, elles parlent, elles chantent, et leurs voix comme des brouillards s'élèvent immenses et lasses.

Petit rappel... Damien Murith est l'auteur d'un premier roman, La Lune assassinée, qui m'avait emballée.
Les Mille veuves en est une continuité, un écho à la solitude des femmes qui déjà en était un peu le sujet central, avec la nature, les éléments, leur rudesse sans merci.
Dans La Lune assassinée c'était les champs, le terroir, ici c'est la mer, la brume, les embruns, les marins qui partent les femmes qui restent, engluées dans l'attente et les prières. 
Prières qui se transforment en supplications, soulignent les envies/désaccords d'un couple, la liberté retirée, l'ADN étouffé/sacrifié... 
Entre la puissance des vagues, le chant du vent, évoluent des personnages simples, taiseux, durs, s'intercalant avec un cri de désespoir, une immense peine montant crescendo, se transformant en haine, en folie... 

Et l'on se laisse prendre et porter par ce roman intemporel, poétique, bref et dense, taillé à la serpe comme sait le faire Damien Murith. C'est un régal de le voir manier la langue avec autant de maîtrise pour aller droit au sens, convoquer si peu de mots et pourtant en suggérer autant dans cette mélodie lancinante, âpre, céleste. 

"Elle est vagues qui chargent, elle est rochers qui tranchent, elle est marée haute qui mouche dans le sable les larmes de mille veuves, elle est le grand large où un oiseau en sueur fuit la course noire des nuages, elle est vent, glace et furie, elle est la morsure cuisante du sel, le cri des hommes, trempés, gelés, clous de chairs plantés dans le bois épuisé des bateaux, et quand la brume avec sa langue de dentelles lèche les falaises nues, la voici jalousie, elle gifle, griffe et crache des algues flasques comme les cheveux vers des marins engloutis, elle est la mer, hurlante, écrasante, sa bouche immense est enflée d’écume blanche, et la mort, comme un cosaque, la talonne."

L'auteur >> Damien Murith est né en 1970. Il vit dans le canton de Fribourg où il est enseignant. Son premier roman, La Lune assassinée, a reçu quatre prix littéraires. Son deuxième roman, Les mille veuves, est le second volume d'une trilogie en cours d'écriture.

Les éditions l'Age d'homme: http://www.lagedhomme.com/

Comments

[Stephie]

Il va vraiment falloir que je lise ces deux romans ! Merci pour ton billet ;)