APPARTENIR - Séverine WERBA
De la guerre, de la déportation et de la mort de ses proches, Boris, le grand-père de la narratrice, n’a jamais parlé. Autour de lui chacun savait, mais, dans l’appartement du 30, rue de Leningrad, que tout le monde appelait « le 30 », le sujet n’était jamais évoqué.
Et puis Boris est mort. La jeune femme a vécu un moment au 30, en attendant que l’appartement soit vendu, elle avait vingt ans, et elle a cédé à une bibliothèque les livres en russe et en yiddish de son grand-père. Plus personne ne parlait ces langues dans la famille.
Ce n’est que dix ans plus tard, au moment de devenir mère, que s’est imposé à elle le besoin de combler ce vide et de reprendre le récit familial là où il avait été interrompu. Moins pour reconstituer le drame que pour réinventer des vies. Retrouver les rues de Paris autrefois populaires où vivaient Rosa, la sœur de Boris, avec sa fille Lena, déportées en 1942 ; voir ce village lointain d’où son grand-père était parti pour se créer un avenir qu’il espérait meilleur ; entendre couler cette rivière d’Ukraine sur laquelle, enfant, il patinait l’hiver. Comprendre où ils vécurent et furent assassinés.
Alors elle cherche, fouille, interroge, voyage, croisant la mort à chaque pas dans son étrange entreprise de rendre la vie à ces spectres. C’est une quête insensée, perdue d’avance, mais fondamentale : celle d’une identité paradoxale qu’il lui faut affirmer.
Je ne sais pas si j'aurais lu ce roman s'il n'avait figuré dans la sélection des 68 premières fois (organisée par Charlotte L'insatiable, qui s'est lancé le défi de lire les 68 premiers romans de la rentrée littéraire. Nous sommes 40 à l'accompagner dans cette aventure: https://www.facebook.com/groups/798415006944136/). J'en avais tout de même noté le titre à la rentrée, tout en n'en faisant pas nécessairement une priorité. C'était un tort.
Car j'ai été immédiatement emportée et extrêmement touchée par ce premier roman sous la forme d'un récit personnel.
Après la naissance de sa fille, Séverine Werba se retrouve entourée de fantômes, se questionne sur la/sa religion, et ressent le besoin de se lancer dans des recherches sur ses racines du côté de sa famille juive originaire de Loutsk en Ukraine, ville où furent exterminés 25000 juifs.
Nous la suivons dans cette "enquête", des archives à un voyage en Ukraine, en passant par divers couriers et périgrinations plus ou moins plaisantes (notamment en se retrouvant confrontée à un antisémitisme larvé en Ukraine).
Nous plongeons dans l'épouvante de la rafle du Vel d'Hiv, l'effroi des Aktions nazies, dans ces évènements qui ne nous sont pas inconnus, mais qu'il faut s'obstiner à ne pas laisser oublier, "banaliser" ou nier, pour perpétuer ce primordial devoir de mémoire face à la menace de l'indifférence.
Séverine Werba tente de redonner quelques contours aux membres de sa famille qui furent victimes des nazis, redonner un peu de poids à leurs vies dans l'Histoire qui les a engloutis. Et ce faisant, elle creuse autant le passé qu'en elle même et en ses origines, pour se raccorder à sa vie, à sa propre identité, trouver quelques réponses, et un certain apaisement.
Vous l'aurez compris, Appartenir est une lecture forte, pleine d'émotion, parfois éprouvante, mais à l'écriture toujours digne, sensible et élégante. Et, bien que l'on assiste à un questionnement/cheminement intime, ce roman m'est apparu assez universel, sur le fait de chercher sa place dans l'arbre généalogique familial, trouver son propre chemin dans les pas de ceux qui nous ont précédés, et se sentir enfin légitime dans ses choix d'appartenance.
"Le vrai triomphe de l'extermination, c'est l'anéantissement des êtres, de leur singularité. Empilés les uns sur les autres dans les fosses, ils se dissolvent au propre comme au figuré. Ne restent de ces corps nus, de ces chairs fondues, que des flaques de sang qui remontent à la surface, stagnantes et noires, et attirent les chiens errants.
Je sais que cette histoire et que cette fin sont confusément les leurs. Comment exactement, je ne sais pas. Où les situer, quel rôle leur faire jouer est une impossible reconstitution. Une chose vaine. Ils sont comme les autres, perdus, dissous, oubliés dans cette tragédie. Ecrire leur nom est déjà les en extraire un peu."
L'auteur(e) >> Après avoir été journaliste et productrice de documentaires, Séverine Werba travaille aujourd’hui pour la série policière Engrenages, diffusée sur Canal+. Appartenir est son premier roman.
Les éditions FAYARD : http://www.fayard.fr

