PARADIS (AVANT LIQUIDATION) - Julien BLANC-GRAS
II y a des pays en voie de développement et des espèces en voie de disparition. La république des Kiribati est un pays en voie de disparition. Perdu au milieu de l'océan Pacifique, ce petit paradis semble promis à l'engloutissement par le réchauffement climatique. J'ai organisé ma vie autour d'une ambition saugrenue, le quadrillage méthodique de la planète. Moteur: toujours voir un pays en plus. Ce qui se profile ici, c'est un pays en moins.
Je dois m'y rendre avant qu'il ne soit rayé de la carte. J.B.-G.
J'avais noté ce titre après avoir lu, et aimé, Touriste, du même auteur.
J'avais donc acheté Paradis (avant liquidation), en format Poche, il m'attendait.
Et c'est là, en plein mois-de-juillet-qui-ressemble-à-un-mois-d'octobre que je l'ai enfin lu.
Et comment ne pas voir dans ce temps déplorable les signes climatiques abordés dans ce récit??
Alors bon, moi, ici, à Paris, ça se manifeste par un temps déprimant en été, mais chez les Kiribati c'est un peu plus grave... eux, ils se demandent s'ils seront les premiers réfugiés climatiques...
Les îles Kiribati ont, de haut, un air de Paradis, et en bas, s'apparentent à l'Enfer sur Terre...
Et c'est avec une touche d'humour et beaucoup de respect envers les personnes qu'il croise (y compris des membres de diverses communautés religieuses, dont il ne partage pas les idéologies...) que Julien Blanc-Gras fait le récit de son séjour auprès des des habitants, partageant leur vie précaire, entre dénuement, alcool, pollution et manques de moyens médicaux.
Malgré cela, seulement quelques-uns d'entre eux nourrissent le fantasme d'un ailleurs, beaucoup aiment leur pays, y sont attachés, et veulent y rester, jusqu'au bout.
Et comment ne pas être saisi(e) par leur quotidien, leur lutte permanente pour leur survie, accompagnée d'un certain fatalisme?
Bien sûr d'aucuns diront que c'est loin les îles Kiribati, que cela ne "nous" concerne pas, que quand même c'est un peu exagéré cette histoire de réchauffement et la-faute-à-pas-de-chance... il l'a entendu quelques fois ce discours, Julien Blanc-Gras, il savait que son sujet ne vendrait pas le rêve entr'aperçu sur la couverture de son livre, mais il lui fallait aller voir, et témoigner, y compris de "l'après voyage" immédiat, qui fut un violent retour aux USA et à la vie "moderne".
Au delà de l'aspect "reportage"/récit, Julien Blanc-Gras nous offre aussi dans ces courtes pages de forts et jolis moments pleins de poésie, et met beaucoup d'humanité dans ce récit de voyage aussi passionnant que lucide, on ressent une vraie émotion, une tendresse mêlée de colère, et on reçoit son message 5/5...
A lire, et faire lire...
"La menace écologique globale stimule notre propension à l'indignation - salauds de pollueurs - et tenaille notre mauvaise conscience d'hyper-consommateurs - tiens, moi aussi je pollue. Elle active la culpabilité, posture en vogue dans un Occident travaillé à la fois par la honte de son passé colonial et par le masochisme hérité de sa culture chrétienne. On s'autoflagelle cinq minutes en songeant à la planète, puis on va faire des courses."
"J'ai beaucoup marché. Je suis monté sur des tapis roulants et dans des ascenceurs. J'ai roulé en taxi, en bus et à moto, j'ai pris des trains, des métros et des bâteaux. J'ai emprunté dix avions et traversé une demie douzaine de pays pour boucler le tour du monde qui donne vie à ce livre. Mon empreinte énergétique est déplorable.
Je soulage ma conscience en considérant ce récit comme ma compensation carbone.
Dans le temps de ce voyage, le Groenland a fondu, un typhon a ravagé les Philippines, New York a été innondée. Une île du Pacifique a été mystérieusement rayée de la carte et on a appris que la moitié de la grande barrière de corail australienne avait disparu.
Une énième conférence climatique de la dernière chance s'est tenue dans un pays gazier. Conférence qui, dans une commune indifférence, s'est soldée par un échec."
L'auteur >> Né en 1976 à Gap, Julien Blanc-Gras est journaliste de profession et voyageur par vocation. Il a publié deux romans au Diable Vauvert, Gringoland, qui conte un périple latino-américain, lauréat en 2005 du festival du premier roman de Chambéry et «Talents à découvrir» des librairies Cultura, et Comment devenir un dieu vivant en 2008, une comédie apocalyptique déjantée à paraître en collection Nouvelle voix chez Pocket.